Malgré le COVID19, garder le cap

La crise sanitaire et désormais également économique que nous traversons est pour tous, au-delà de ceux qui sont directement frappés par la maladie et leurs proches, une source d’anxiété et d’incertitude. Les perspectives des prochains mois sont plutôt sombres et beaucoup d’entreprises, d’administrations publiques et de collectivités s’interrogent sur la hiérarchie de leurs priorités.

Bien que la pandémie de COVID19 n’ait, semble-t-il, pas de lien direct avec le réchauffement climatique, mais davantage avec la façon dont nos sociétés, au nom du développement économique, détruisent la biodiversité et réduisent les habitats de la faune sauvage[1], son ampleur mondiale et ses conséquences socio-économiques majeures éclairent nos réflexions sur l’impact des changements climatiques et la façon d’y faire face. En effet, la globalisation, qui n’est pas qu’économique mais concerne aussi l’interdépendance accrue entre les sociétés (ce que la littérature en sciences sociales a abondamment souligné depuis 30 ans), est à l’origine de la diffusion planétaire rapide du virus. Or, l’interdépendance mondiale caractérise également le phénomène du changement climatique et rend à la fois dérisoire et scandaleuse l’attitude de ceux qui refusent tout réel effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre – y compris au sein de l’Union européenne.

Cette pandémie met l’accent sur l’importance des thématiques de santé environnementale, dans leurs liens directs et indirects avec le changement climatique, ce dont le chapitre 4 de notre rapport de 2018 traitait amplement. Le virus COVID19 nous effraie à juste titre, mais il ne doit pas faire oublier d’autres réalités sanitaires tout aussi catastrophiques. Ainsi, la malaria tue chaque année plus de 400 000 personnes à travers le monde, en majorité des enfants de moins de 5ans, et il n’y n’a pas non plus de vaccin disponible. Or l’extension des maladies à vecteur hors des zones géographiques où elles sont actuellement endémiquesou la résurgence de maladies « oubliées » font partie des risques connus du réchauffement. Les pires pandémies sont probablement à venir et ne seront pas dissociables des changements environnementaux globaux. Par ailleurs, la crise sanitaire met en lumière un coût souvent sous-estimé de notre mode de vie carboné : une étude récente souligne que 11000 morts auraient été évités en un mois dans l’UE du fait de la chute de la pollution atmosphérique (principalement particules fines et dioxyde d’azote (NO2)), laquelle y serait responsable de 400 000 morts prématurées par an selon l’Agence européenne de l’environnement[2]. Sans même évoquer ici le débat sur le possible rôle de facteur aggravant de cette pollution dans la pandémie.L’effondrement du transport aérien et plus largement les effets socio-économiques des politiques d’urgence sanitaire – non de la pandémie en tant que telle car pour l’instant son impact sur la force de travail ou la démographie n’a rien de comparable avec, par exemple, la grippe espagnole de 1918 sans parler de la peste noire du XIVesiècle[3]– soulignent à l’envie l’extrême fragilité de nos sociétés. Est-il raisonnable dès lors de tout sacrifier à la croissance économique et au bien-être matériel, y compris l’ambition en matière climatique ? C’est cette même fragilité qui risque d’obérer grandement nos capacités à gérer efficacement les impacts du changement climatique, ce qu’on appelle l’adaptation, et cela d’autant plus que nous aurons dépassé ce qui a été présenté dans l’Accord de Paris de 2015 comme le maximum tolérable,2°C de plus en moyenne planétaire d’ici 2100.

Enfin, si la crise du COVID19 entraîne effectivement la récession la plus grave depuis la deuxième guerre mondiale, les injonctions à relancer la machine vont aller croissant. Il faut pourtant mettre cet impact économique et social en perspective avec les coûts faramineux et croissants avec le temps, du changement climatique dans les décennies à venir. Plus les études se multiplient et plus les sommes en jeu sont réévaluées et se comptent en milliers de milliards de dollars américains[1]. Les réductions importantes des émissions de gaz à effet de serre constatées au premier semestre 2020[2]pourraient bien, si nous n’y prenons pas garde, être rapidement effacées par l’effet rebond d’une reprise économique trop carbonée.

Plus que jamais, des politiques courageuses fondées sur la connaissance déjà accumulée, insensibles aux pressions des lobbies économiques et des divers populismes et s’appuyant sur tous les acteurs de bonne volonté, doivent être mises en œuvre, en mobilisant notamment fiscalité et finance vertes. Cela implique aussi que les acteurs des territoires ne se laissent pas emporter par les logiques du court terme, ne perdent pas de vue les nécessaires transformations plus profondes dans nos modes de vie. Cela suppose aussi que tous les financements publics, tous les programmes de recherche, ne basculent pas de façon exclusive vers l’urgence sanitaire, aussi légitime soit-elle.

Plus que jamais, la recherche multidisciplinaire doit soutenir la priorité de l’action face au changement climatique avec les exigences habituelles de rigueur et d’indépendance scientifique. La communauté AcclimaTerra reste pleinement mobilisée et accueille tous les scientifiques qui veulent la rejoindre dans ce but. Malgré les complications qu’a entraîné le confinement, nous continuons nos activités comme l’attestent les informations contenues dans cette lettre. Ce n’est pas le moment de baisser les bras, au contraire il faut garder le cap.

Le Bureau d’AcclimaTerra


[1]Voir par exemple, Wei, Y., Han, R., Wang, C. et al. Self-preservationstrategy for approaching global warmingtargets in the post-Paris Agreement era. Nat Commun 11, 1624 (2020). https://doi.org/10.1038/s41467-020-15453-z

[2]Lauri Myllyvirta, « Coronavirus temporarilyreducedChina’s CO2 emissions by a quarter », CarbonBrief, 19/02/2020. https://www.carbonbrief.org/analysis-coronavirus-has-temporarily-reduced-chinas-co2-emissions-by-a-quarter


[3]De l’ordre de 40 millions en 1918-20, dont 90% de moins de 65%, ou   de 65 ans et un quart de la population européenne pour la peste noire. Rien de tel avec le coronavirus qui fera sûrement plusieurs centaines de milliers de morts dans le monde, à comparer cependant au plus de 57 millions qui meurent chaque année toutes causes confondues.

[4]Voir par exemple, Wei, Y., Han, R., Wang, C. et al. Self-preservationstrategy for approaching global warmingtargets in the post-Paris Agreement era. Nat Commun 11, 1624 (2020). https://doi.org/10.1038/s41467-020-15453-z

[5]Lauri Myllyvirta, « Coronavirus temporarilyreducedChina’s CO2 emissions by a quarter », CarbonBrief, 19/02/2020. https://www.carbonbrief.org/analysis-coronavirus-has-temporarily-reduced-chinas-co2-emissions-by-a-quarter

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